« Vous tous là-bas, regardez le Congo, ce pays de Lumumba. Regardez ce pays, regardez le droit. Regardez ce que l'on fait à ceux qui parlent. Regardez les menottes. […] Souvenez-vous de Lumumba, des corrompus, des gens qui tuent ce pays et qui ont tué ce pays. Ils ont tué Lumumba (grande figure de l'indépendance du Congo Belge, assassiné en 1961) et continuent à tuer le peuple congolais. »
Puis, en s'adressant au colonel de police présent : « aujourd'hui je suis prêt à mourir à cause de toi, parce que tu es corrompu. »
Ces mots sont prononcés en juin 2017 par Mugabo Baritegera, quelques minutes avant d'être jeté au cachot avec trois de ses confrères pour avoir participé à un happening dénonçant les massacres qui ravagent plusieurs régions de la Rd-Congo.
J'ai fait la connaissance de ce jeune artiste, cinéaste et photographe de Goma début 2016. Très vite il m'a parlé de sa mission et du rôle qu'ont pour lui les artistes quant à l'écriture de l'histoire de leur pays. « Il faut éduquer la population [...] car ici, une opinion largement répandue soutient que “si tu veux cacher quelque chose aux Congolais, mets le dans un livre”. »
Au fur et à mesure de nos rencontres, Mugabo m'a introduit dans le petit « cercle artistique gomatracien », relativement méconnu mais constitué de jeunes passionnés et imaginatifs.
Danseurs, peintres, slameurs, cinéastes ou photographes, ils se battent au quotidien pour faire exister leur art, lui trouver des espaces de partage et essayer d'en vivre, alors que la liberté d'expression est limitée par un appareil politique répressif et corrompu. Leur rêve, d'être compris et apprécié par leur communauté, se heurte à la réalité d'une population qui peine déjà à subvenir à ses besoins de tous les jours.
J'ai commencé à faire le portrait de cette nouvelle génération d'artistes pour raconter une histoire différente des multiples récits focalisés sur les cicatrices laissées par la guerre dans la région. Témoigner du quotidien de ceux qui ont choisi de se battre sans armes mais avec des mots, des gestes, des mouvements ou des couleurs, afin d'offrir à leur communauté l'opportunité de regarder le monde qui les entoure différemment. S'ils n'hésitent pas à puiser leur inspiration dans le passé douloureux de leur pays, c'est qu'à leurs yeux, l'art a un rôle majeur dans la construction d'un avenir meilleur et leur donne le pouvoir d'orienter les opinions vers le changement.